« L’effondrement des services publics produit du “chacun seul” »
Un article du magazine CQFD. Merci à eux.
Qui veut la peau du service public ? Dans leur livre La Valeur du service public, deux chercheuses et un chercheur en sciences sociales dissèquent des décennies de « modernisations » néolibérales ayant mis de gros coups de canifs dans le contrat social. Tous trois pointent la responsabilité d’une catégorie sociale bien spécifique : la « noblesse managériale publique-privée ». Entretien.
Les conservateurs états-uniens appellent cette technique « starve the beast » – affamer la bête. Pour se débarrasser d’un service public dont on ne veut plus, il faut le sous-financer. Une fois empêché de remplir sa mission, il pourra être mis en pièces et confié à de grandes sociétés privées, qui trouveront les moyens de faire du profit là où auparavant, il était surtout question d’intérêt général. Et tant pis pour la casse : d’une part, les conditions de travail impossibles et l’épuisement des agents ; d’autre part, l’abandon des usagers les plus pauvres et les plus fragiles.
Dans La Valeur du service public (La Découverte, 2021), la politiste Julie Gervais, l’historienne Claire Lemercier et le sociologue Willy Pelletier décortiquent le lent détricotage néolibéral des services publics. Privatisations, fermetures de services, séparation des activités rentables et non rentables, renforcement des hiérarchies, affaiblissement du statut des fonctionnaires qui leur garantissait une sécurité permettant de résister à des injonctions injustes… Les mécanismes sont divers. Mais à chaque fois, pointent l’auteur et les deux autrices du livre, on retrouve aux manettes une catégorie sociale bien particulière : la « noblesse managériale publique-privée ». Formés à l’impératif gestionnaire issu du privé dans de grandes écoles pourtant publiques, ces enfants des classes privilégiées n’ont jamais à connaître le tort que leurs réformes déconnectées de la réalité causent au commun des mortels.
On en parle avec Julie Gervais et Willy Pelletier.
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Dans La Valeur du service public, vous écrivez que les « modernisations » néolibérales subies par les services publics au cours des dernières décennies ont été et sont toujours « des massacres ». Le mot est fort…
Willy Pelletier : « Il s’agit de violences de masse qui percutent à la fois les agents et les usagers. En première ligne, les agents n’en peuvent plus : les réorganisations désorganisent tellement leur travail que leurs missions deviennent impossibles. Et cela a des effets épouvantables sur les usagers, nous toutes et tous qui nous servons continuellement des services publics.
Un exemple : la fermeture de la maternité de proximité du Blanc, une commune du sud de l’Indre, a eu un impact sur près de 80 000 personnes. Concrètement, ce sont des mamans qui, quand la douleur leur vrille le ventre, doivent faire largement plus d’une heure de transport sur des routes départementales avec, de nuit, des chevreuils et, de jour, des engins agricoles limités à 30 km/h… De sorte que des accouchements se déroulent désormais souvent sur le bas-côté des routes, à la maison ou encore aux urgences. Avec, à la clé, une mortalité infantile qui n’existait plus depuis longtemps. »
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